Les orageuses de Marcia Burnier
« Après l’action elles sont euphoriques, euphoriques d’avoir été jusqu’au bout du plan, heureuses de n’avoir pas fait ce qu’on leur a appris, baisser la tête et se recoudre entre elles. Personne n’apprend aux filles le bonheur de la revanche, la joie des représailles bien faites, personne ne leur dit que rendre les coups peut faire fourmiller le cœur, qu’on ne tend pas l’autre joue aux violeurs, que le pardon n’a rien à voir avec la guérison. On leur apprend à prendre soin d’elles et des autres, à se réparer entre elle, à « vivre avec », elles paient leur psychothérapie pendant que l’autre continue sa vie sans accroc, sans choc, toujours plus puissant. On leur raconte que les hommes peuvent les venger à leur place si elles ont de la valeur, qu’il faut qu’elles s’en remettent aux autorités, à leur mari, à leur père, à leur meilleur ami, qu’elles déposent le poids de la violence chez un autre masculin pour que jamais elles ne puissent être complices. Mais ce soir, elles refusent de s’éteindre, elles refusent d’être éteintes, de leur céder la lumière. »
Et si la peur changeait de camp?
Elles se sont rencontrées, se
sont reconnues et méthodiquement, elles se vengent. Elles piétinent les années
de douleurs, d’angoisses, de paralysie. Elles disent non !
Est-ce légitime ? Est-ce que
l’on peut accepter ou même souhaiter se faire vengeance soit même ? Envie
de dire oui, mais dans la vie réelle j’énoncerais évidemment un non, sinon le
chaos ! Questionnement moraux mis
de côté, le vivre à travers une fiction, procure un plaisir immense ! Et
puis, qu’est-ce que la destruction matérielle à côté d’un corps fracturé, d’une
âme vandalisée ?
Les orageuses est un hymne
résistant, éclatant, revigorant. C’est court, c’est lapidaire c’est du vaillant
et poing levé. De la rage déliée, pour expier, expulser, expurger.
Je m’y suis retrouvée, j’ai
retrouvé des témoignages entendu régulièrement au détour de conversation, de
rencontres. Lorsqu’on est femme, c’est tout à fait ça de vivre dans cette
société ou échapper au viol n’est finalement pas si commun. Une majorité de
femmes se fait agresser quotidiennement, que ce soit des propos lancés à la va
vite, des mains qui se baladent, des sexes qui fracturent, un corps médical qui
humilie. C’est trop, trop souvent, trop régulier, trop prégnant.
Celles qui ne le vivent pas ne
peuvent estimer parler décemment au nom des autres. La sororité doit être une
priorité pour enrayer les violences qu’une grande majorité subit. Je ne
cesserais de le répéter, il faut le dire, prendre conscience et lutter dès
l’enfance pour inverser les schémas de pensée patriarcale inscrit en chacun de
nous.
Certains livres vous parlent
intimement. Celui-ci en fait partie, je suis toutes ces femmes et aucunes d
elles mais je survis aussi à travers elles. Les violeurs sont invisibles, les
seuls faisant l’actualité sont les violeurs en série ou les victimes d’erreurs
(parfois même lorsqu’erreur il n’y a pas). Témoigner est pourtant vital dans
notre monde ou le viol est un acte poreux que certains qualifierait à peine d’erreur.
Une agression ou la victime se sent coupable. Coupable car la société entière
lui renvoie sa culpabilité. Nous devons éduquer les futurs générations et
témoigner de cette fureur qui balaie et grandit l’impuissance de vivre, comme
ça, avec ce qu’ils nous ont fait. Je suis un peu de chacune d’elles. La
résonnance est infinie. Ce roman est une rencontre avec toutes ces voix
inaudibles.
J’enjoins les femmes à le lire
pour trouver communion, même si pour la plupart elles savent déjà. J’encourage
aussi les hommes à le lire, car si tous les hommes ne sont pas violents les
femmes se font malmenées en grand nombre, par des hommes.
Cambourakis, le 2 septembre 2020, 144 pages
Je trouvais déjà la couverture magnifique... mais ce que tu en dis (pfiou). J'espère avoir l'occasion de lire ce livre. Merci pour ce coup de coeur !
RépondreSupprimerOh merci pour ton retour. J'ai rarement des retours sur ce que j'écris. Je le fais essentiellement pour moi mais c'est chouette de savoir que mes mots peuvent donner des envies. Et puis j'aime beaucoup les Editions Cambourakis et la collection Sorcières particulièrement!
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