Une forêt d'arbres creux d'Antoine Choplin
Voilà peut-être pour ce qui est de ce regard du
premier jour porté par Bedrich sur les deux ormes de la place de Terezin. S’y
entrelacent, en lisière de cette désolation, l’élan et la contrainte, la vérité
et l’illusion, le vivant et le mort. À eux seuls, les barbelés ne disent rien,
pas plus que les arbres ; ce sont les deux ensemble qui témoignent de
l’impensable.
Ces mots, emplissant cette forêt
d’arbres creux, sont beaux à en pleurer. La lecture de ce texte court est
éprouvante. Les descriptions sont terriblement esthétiques. Conter l’indicible tout
en finesse suggestive. Toute la prouesse de l’auteur est ici de faire ressentir
du paisible face au chaos. La résistance par l’art, la trace qui prouvera l’horreur
en image, le témoignage quoi qu’il en coûte. Le témoin qui hurlera l’horreur.
Quel dessein torturant que de
dessiner les plans du crématorium dans cet espace calme et vivifiant. Préparer la
mort des siens. Rester concentré, ne surtout pas éprouver. Que toutes pensées
deviennent énigmes. Rester au-delà des réalités visibles.
La lecture va croissante jusqu’à
l’inévitable fin. C’est d’abord la perte
de la famille et la tendresse qui ne peut plus exister face à la masse et à la
survie. Manger et respirer ne devenant que l’unique loi possible, le seul
engagement tenable. Les sentiments d’espoirs qui se délitent face à l’incompréhensible.
La sidération qui s’installe. Subir en silence pour l’autre ou grâce à lui, mais
jamais plus ensemble. Face au multiple l’individu n’est plus, il fond et
devient autre. Face à la terreur souterraine, il s’enfonce. La seule pensée survivante
étant de ne plus comprendre, de ne plus savoir, de ne plus être humain.
On finit la lecture, désœuvré, la
rage prête à bondir face à la fatalité, face à la brutalité de notre monde
parfois si désarticulé et sanguinaire.
Il repense aux forêts aperçues depuis le train et à
cette étrange sérénité que ces paysages lui ont procurée malgré tout. Les
forêts portent les espoirs, il se dit. Elles ne trompent pas. On n’a jamais
rapporté le cas d’une forêt d’arbres creux, n’est-ce pas ?
La fosse aux ours, 20 août 2015
115 pages
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