Une longue impatience de Gaëlle Josse
Ce que je voulais, c’était m’endormir,
et ne m’éveiller qu’au retour de Louis. Ouvrir une saignée dans le sol et m’y
blottir, m’y engloutir tout entière, m’y oublier, m’y enterrer vive. J’ai dû
mettre toute ma volonté, toute mon énergie pour faire face à la vie autour de
moi, toute cette vie qui s’arrête au bord d’une invisible tranchée, celle que
la douleur a creusée entre le monde et moi.
Il faut apprendre à vivre avec
l’absence mais vivre avec l’incertitude ébranle les fondations. Un parent ne
peut faire le deuil de son enfant, il n’y a d’ailleurs pas de mots pour nommer
cette perte insensée. Mais vivre en ne sachant pas, en imaginant les multiples
directions, est révoltant pour l’âme et creuse l’allégresse jusqu’à
l’extinction. Anne, la mère, créé des parades pour tenter de survivre à cette
absence, mais également à son inertie, sa culpabilité de mère non protectrice,
impuissante face au malamour du conjoint. Il n’est pas donné à tout le monde
d’aimer l’enfant d’un autre, il faut réfléchir avant l’engagement. Anne en
prend la mesure trop tard et se délite face à sa responsabilité et au chagrin. Elle
a plongé vers l’inconnu pour assurer leur survie, mais dans le même temps elle a abîmé
son fils. Pourtant, maintenant qu’il est parti, plus rien ne compte que
l’impatience. Ceux qui restent, ne peuvent arracher suffisamment celui qui
sombre de la mélancolie sous peine de fléchir à leur tour. C’est toute une
famille qui est engourdi par l’absence, pourtant, les responsabilités sont là,
prégnantes, prêtes à arracher le quotidien sans rayures.
Face aux coups, on s’évapore ou
on cherche l’issue. La maltraitance rend fou, elle entrave toute possibilité de
bonheur pour un enfant, elle le marque à jamais. Il est ardu de trouver sa
place lorsque l’autre nous renvoie sans cesse, notre inconséquence, notre
incompatibilité, notre insignifiance.
Louis a fui ! Avec la vertu
des mères de marins, Anne a attendu, jusqu’à la dissolution.
Gaëlle Josse nous conte avec
merveille et poésie, cet état permanent d’espoir vaincu, entraînant une vie somnolente
d’agonie.
Les éditions Noir sur Blanc/ Notabilia,
le 4 janvier 2018
192 pages
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