Il est juste que les forts soient frappés de Thibault Bérard



« Tout ira bien », Benjamin. Ces mots-là, je suis soulagée d’avoir pu les prononcer. Pour les autres, tout ira bien. Pour les amis, la famille, tout ira bien. Pour Théo… Pour lui, je ne veux pas y penser. Par moments, je l’imagine dans les bras d’une autre femme, avec qui il élèverait nos enfants – et dans ces moments-là, je lui souhaite vraiment d’être heureux, libre, en vie à nouveau… mais pour être franche, ça ne dure pas. Cette image est trop dure. Trop violente. L’accepter reviendrait à m’accepter morte déjà, et je ne peux pas. Soudain je veux lutter, et vaincre, et marcher, faire un miracle et regagner ma vie à coups de griffes dans le réel, et écraser quiconque se mettrait sur ma route ! Je refuse qu’on m’oublie, je refuse qu’on me laisse crever ! La minute d’après, je prie pour que tout s’arrête et que le monde soit en paix sans moi. Je clignote en noir et blanc sans cesse, c’est épuisant. Mais là, face au visage franc et simple de Benjamin, je peux me payer le luxe d’être tranquille. De lui annoncer, depuis le lit où bientôt je vais mourir, de beaux présages de vie douce. Tout ira bien, Benjamin.

Théo et Sarah, lutin et moineau, sont amoureux.  Ils sont passionnés, joyeux, invincibles.  Mais un jour le point de chute est atteint, la maladie les foudroie. Ils perdent la bataille, on le sait dès les premiers instants de lecture. On aimerait un retournement de situation, sauf que la vie n’est pas faite que de cadeau et de joie lumineuse, la vie est parfois sacrément infâme. On a beau créer de la résilience on en sort parfois bien abîmé. Est-il juste que les forts soient frappés ? Qui sont les forts ? Comment le demeurent-ils ?
Une écriture dynamique, qui punch, qui danse, qui groove, et qui parfois met kao.  Des propos réflexifs empreints d’humour, parfois caustique, parfois tendre.
Malgré l’obscurité du récit, l’ambiance y est solaire et revigorante. C’est chaud, c’est enveloppant et c’est beau.

Oui mais voilà, je me suis beaucoup trop attaché à Sarah, trop identifiée à elle. Lorsque Théo rencontre un nouvel amour et le vit pendant que le premier se meurt, la déchirure a été trop profonde pour moi. Aucune rationalité n’a pu émerger,  cela m’a mise en colère, viscéralement.J’ai eu envie de hurler sur l’amoureux qui subit mais trahit, qui choisis la vie pendant qu’elle disparaît, qui l’évince, alors qu’elle est encore là, même à demi et qu’elle a besoin de lui. J’aimais très fort ce couple, cette histoire bouleversante, jusqu’à l’arrivée de la nouvelle âme salutaire. Après avoir achevé la lecture, lorsque j’ai su que c’était en plus autobiographique, une rage sourde et aveugle est montée en moi dont je ne me suis pas départie. Depuis, je suis en colère. Chaque fois que j’entends parler de ce livre je frémis, j’ai vraiment aimé l’écriture, sa force m’a subjugué, peut-être trop. C’est même surement là que réside la puissance d’évocation de ce roman, on le vit jusqu’à s’animer entièrement !

L’auteur est celui qui sauve mais celui qui survit aussi, il est celui qui achève en s’abandonnant à une autre avant qu’elle ait disparue complètement et je n’arrive pas à faire un pas de côté.  Je me suis trop identifié à Sarah et malgré la raison, les arguments qui me disent qu’il faut bien survivre à la douleur, je suis envahie, étourdie par la pensée de Théo  faisant l’amour pendant que son moineau s’effrite doucement et en douleur vers le néant. Rationnellement je ne lui en veux pas, je comprends même,  mais émotionnellement je hurle chaque fois que j’y songe. C’est surement injuste mais je ne vois que l’injustice pour elle, elle m’a envahi. C’est doux parce qu’elle vit encore grâce à ce récit. C’est surement une belle preuve d’amour intemporelle, peut être aussi un dédouanement de la culpabilité, une expiation de la tristesse. Je comprends l’envie de vivre, je ne comprends pas qu’il l’entame avant que  Sarah soient enterrée, avant qu’elle se soit dispersée dans les larmes.

Je ne savais pas si j’allais pouvoir écrire sur cette lecture, mais elle continue de m’animer profondément, il fallait que je mette des mots sur mon indignation.  Je n’ai pas encore compris complètement les angoisses qu’elle révèle  en moi, mais une chose est sûr c’est que ce concentré d’émotions ne laisse pas indifférent. Il réveille avec vigueur toutes les contradictions qui peuvent provoquer l’homme. Il a secoué chaque parcelle d’humanité en moi.

Editions de L'Observatoire, 8 janvier 2020
304 pages
Un petit coup de gueule concernant l’anglais : La prochaine fois PLEASE, joignez les traductions en bas de page. Tout le monde ne comprend malheureusement pas l’anglais et n’a pas envie de s’arrimer à un traducteur en ligne pendant sa lecture !



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