Love me tender de Constance Debré



C’est leur affaire à tous ceux qui veulent croire à cette histoire que les femmes ont un lien avec la Lune, avec la nature, avec l’instinct, qui leur commande de s’en tenir à la matière et de renoncer à être. Moi ça ne m’intéresse pas. Mère ça n’existe pas. Mère comme statut, comme identité, comme pouvoir ou non-pouvoir, comme position de dominé et de dominant, comme victime comme bourreau, ça n’existe pas. Ça n’existe jamais ces choses-là. Il y a l’amour et c’est tout autre chose. L’amour qui n’a même pas besoin d’amour en retour, l’amour qui ne demande rien, l’amour qui sait ce qu’il est et qui ne doute jamais, l’amour qui sait que la peine n’est rien, qu’elle ne le concerne pas, qu’elle est inopérante, que la violence ne concerne que celui qui l’exerce. Mon fils sait tout ça très bien. C’est un petit mensch mon fils.

L’annonce est explosive, elle dit tout ou pas assez. Puis vient l’histoire, celle de pleins de couples qui ne s’aiment plus, se séparent et se font du mal. Ils se font payer ce désamour, parfois et même souvent à travers leurs enfants. Ceux qu’ils aiment à priori infiniment mais qu’ils sont prêt à détruire par désespoir, par mesquinerie, par colère, par orgueil aussi. L’humain excelle dans la vengeance palliative à la souffrance.
La parade de protection des enfants, fortement justifiée dans certaines situations, devient pour d’autres une vendetta viscérale. Priver son enfant d’un de ses parents sans justification est aussi une forme de maltraitance, vite oublié par celui qui châtie.

Peut-on dés-aimés ses enfants ? C’est ce que chaque enfant interroge lors d’une séparation. Comment s’inscrire dans une nouvelle vie, loin de la base familiale en conservant l’affection et l’attention initiale. Comment pallier à cette absence et cette reconstruction parentale en dehors du foyer?
Comment le parent redevient un être à part entière, scindé du couple amoureux, tout en conservant les obligations du couple parental ?
Comment pallier le conflit et le chagrin parfois transformé en rage ?
Un enfant est vulnérable et dépendant affectivement de ces parents, un enfant ne peut choisir entre deux amours aussi intense, il est déraisonnable de lui demander de conclure. Un enfant est morcelé si ses parents se déchirent. Les moitiés subissent parfois les bassesses de l’autre, mais c’est toujours l’enfant qui paye le plus.

Love me tender a un langage parfois cru, un phrasé vigoureux, une langue instruite qui ne s’apitoie jamais. Le récit est divisé en chapitres très courts. Ils racontent la souffrance voilée, par bribes, la colère dissimulée, l’incompréhension massive. Un texte imprégné de tendresse recluse. Aucune sensiblerie, l’autrice s’astreint à une discipline de corps et d’esprit pour évincer le précipice.

Un bel hymne à la liberté d’être et de choix avec toute l’ambivalence de l’amour maternel tantôt étouffant, tantôt émouvant.
Une fin tout de même teintée d’amertume. On achève la lecture admiratif et désolé pour la perte irréversible de cette enfance envolée, de tous ces moments qui n’existeront plus et n’auront pas été partagés.

Il n’est pas sûr que le livre répare mais il dit, il est une voix pour tous ceux n’en ayant pas. Il parait que l’écriture peut sauver, elle a au moins le mérite de tenir debout et crier la colère immobile, la douleur impassible. Résigné et stoïque, pudique et sensible, ce récit est émouvant et d’une grande sagesse.  Je suis conquise.

Flammarion, le 8 janvier 2020
192 pages

Commentaires

  1. Ça fait peur, ce thème. Mais je finirai peut-être par le lire, ne serait-ce que pour me faire ma propre opinion.

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