Préférer l'hiver d'Aurélie Jeannin



Maman et moi aimons les humains et leurs histoires, mais nous sommes incapables de nous contenter des bribes qu’une conversation sur le pas de la porte laisse échapper. Il nous faut plus. Nous avons toutes les deux besoin d’entendre tout. Cela me fait l’effet d’une peau à caresser. Poser le doigt sur une toute petite portion ne sert à rien. Pour ressentir, il faut que la main touche vraiment, totalement. Que la paume et les doigts progressent pleinement sur la peau, accèdent au grain et aux aspérités. Les plis du coude, les poils, la peau douce au creux des bras, les bosses des os et de certains grains de beauté, les veines qui roulent, le relief des rides, le duvet par endroits, les cicatrices parfois qui strient la peau en même temps qu’elles tentent de la lisser. Là alors, quelque chose se passe. Mais les effleurements convenus, Maman et moi ne savons pas faire. Je crois que cela a laissé croire à beaucoup de gens dans le coin que nous étions sauvages. En tout cas inaptes aux relations sociales. C’est partiellement vrai. Maman et moi ne péchons pas par défaut mais plutôt par excès. Nous voulons les gens entièrement, en vérité. Cela s’accommode très mal avec le caractère taiseux de ceux d’ici, rodés à l’exercice du parler pour ne rien dire.

La plume d’Aurélie Jeannin est ciselée avec une grande maîtrise. Préférer l’hiver est un roman brut, sanguin, presque animal. S’il n’y avait pas cette verve poétique très significative autour de la langue, on pourrait presque imaginer un roman américain, de ceux nous plongeant au cœur de la nature vaste et sauvage.

Le démarrage est élégant, l’analyse des relations liant les personnages, subtile et minutieuse, une grande expertise des sentiments et comportement humains. La vulnérabilité d’un retour au calme à l’essentiel, une douce temporalité fondue au rythme des saisons.

Un roman sensible ou chaque mot trouve sa place, prodiguant une musicalité particulière au texte. Un récit malheureusement, qui s’essouffle et devient confus. La beauté des mots est indéniable mais il manque une direction à l’histoire pour parfaire l’ensemble.

HarperCollins, le 8 janvier 2020
240 pages

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