Pardon d'Eve Ensler


Nous restons logés, tapis à l’intérieur de nos familles et de nos proches, de ceux que nous avons blessés et de ceux dont nous avons pris soin. Nous sommes là, dans les murs des maisons anciennes et le silence du soir, dans les célébrations, les naissances, les mariages et les enterrements, partout où les vivants aspirent à l’approbation des morts. Nous sommes là, cellules dormantes, dans le sang qui coule dans leurs veines, attendant d’être catalysés par la dévotion des vivants, et par leur besoin de comprendre. Là, enflammés par la générosité qu’ont les vivants qui se souviennent, adorent, contredisent, luttent et réparent.

La violence appelle la violence. Un enfant malmené se construit avec déviance et parfois se transforme en bourreau à son tour. Je remercie tous ces professionnels, de soin notamment, ayant véhiculé pendant des années (certains encore maintenant) que les enfants se dressent, doivent abandonner leur moi, se soumettre pour vivre en société. Pardon pour eux, à tous ces enfants qui subissent et font subir à leur tour ces agressions qui se passent de génération en génération aussi aisément qu’un nom de famille. Pardon à vos futures progénitures, si résilience n’est pas trouvée. Pardon pour ceux qui continue d’alimenter une violence sous-jacente et la justifie au nom de la sacro-sainte éducation. Pardon pour les témoins passifs et complices.

Certains témoignages alimentent l’âme plus que d’autres. On retrouve dans ce texte une introspection littéraire forte et remuante. Une grande analyse sobre et affûtée de la personnalité d’un père prédateur. Un récit douloureux mais combatif. Il imagine une demande de pardon qui n’est jamais arrivé, il tente de panser les plaies. Il est certainement plus doux d’imaginer les remords, le repenti que de ne voir que la laideur obscène. Imaginer que le tortionnaire reconnait la cruauté et l’insensibilité, c’est retrouver un peu de son humanité, reprendre possession de son corps et de ce qui lui appartient encore. Malheureusement ce n’est qu’un songe et les songes se dispersent loin des réalités frelatée.

Je ne crois pas en la capacité de contrition de celui qui est passé à l’acte, je crois à celui qui résiste, mais celui qui détruit un enfant, a fortiori son enfant dépasse le dicible et ne peut plus faire illusion, il succombe à ses démons et ne peut a priori pas en revenir. Il semblerait en effet qu’aucuns pédocriminels qui soit passés à l’acte ne guérissent jamais, en tout cas aucune étude ne le prouve ni ne l’atteste. Je ne crois pas en leur capacité de repentance mais je crois en la capacité de l’accompagnement et de résilience des victimes et c’est bien là, à mon sens, qu’il faut tabler.  
Pour éviter l’affront de la non reconnaissance des blessures il faut prévenir, soigner lorsque agression il y a lieu pour éviter l’éternel reproduction.

Un dernier Pardon Eve, pour ce père immonde, cette mère complice et pour cette enfance détruite. Et un grand merci pour ce livre courageux et rédempteur.

Denoël, le 3 janvier 2020
144 pages
Trad. de l'anglais (États-Unis) par Héloïse Esquié

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