A mains nues d'Amandine Dhée
Au début, elle ricane.
Pour quoi faire, le féminisme ?
Bien sûr, qu’on est égaux. Pour sa génération, la question ne se pose plus.
Évidemment, il existe encore des abrutis pour mettre des torgnoles à leurs
femmes, mais dans son milieu, ça n’existe pas. Elle lutte contre le
réchauffement climatique, le racisme, les frontières, les violences policières,
l’extraction de gaz de schiste, les paradis fiscaux, l’extrême droite, la
publicité, les centrales nucléaires… mais pour les droits des femmes, jamais.
Le féminisme lui apparaît comme un mouvement hors-sol, un truc de bourgeoises
qui pinaillent, une note de bas de page dans l’Histoire. Elle se moque, sans
comprendre que ce ricanement n’est pas le sien.
Un tremblement. C’est un simple
tremblement qui l’oblige à voir les choses autrement. Celui qui s’empare d’elle
quand elle veut prendre la parole en public, qui menace de la faire taire tant
cela lui coûte. Qui pourrait bien l’éteindre, l’empêcher de créer. Comment
dire ? Comme si elle avait perdu d’avance.
Ça ne compte presque pas, une main qui
tremble, une gorge nouée. Mais c’est à cause, mais c’est grâce, à cette main
qui tremble que soudain, elle se comprend femme. Elle parvient à nommer ce qui
fissure son quotidien, sur quoi elle se heurte. Quelque chose qui tache, qui ne
part pas, qui se répète. Elle se retourne alors vers la petite fille et
l’adolescente qu’elle a été, et comprend que son immense appétit d’être une
femme s’est retourné contre elle. Qu’on lui a appris à chercher sa valeur dans
les yeux des autres.
Amandine Dhée est une conteuse prêtresse
du quotidien intimiste et si contradictoire des femmes. Elle vogue entre les
années, chaque livre évoluant avec la femme qu’elle devient, qu’elle construit,
qu’elle subit et par rayonnement celles qui se reconnaissent dans ses écrits.
A mains nues évoque la maternité, le couple, le désir, la liberté d’être
soi tout en appartenant parfois quand même un peu à un autre. L’enfant comme l’amoureux
(ou l’amoureuse) puisent dans des ressources indécelables au creux de nous. L’autre
est une bourrasque pour celle qui ne sait pas vraiment se définir seule.
Les femmes malgré leur nombre
sont une minorité dans notre société et doivent lutter. Combattre les
habitudes, les certitudes, l’imperceptible qui définit. Elles doivent
apprendre, comprendre, assurer, assumer et s’épanouir devient une gageure capricieuse.
Je découvre toujours avec délice
ces fragments qui agrandissent la réflexion et résonne en moi, qui aurais pu s’échapper
de mes pensées si souvent similaires tout en étant complètement autre
également. La grande force des récits d’Amandine
Dhée est de faire écho, de rebondir et de permettre de s’ouvrir encore un peu
plus à soi.
Il se dévore, il se picore, il se
pose et se redécouvrir, un livre a posséder pour l’avoir a porté.
La contre allée, le 17 janvier 2020
144 pages
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