Là où chantent les écrevisses de Delia Owens
C’était sans doute
une région ingrate, mais pas un pouce n’en était stérile. Des strates de vie
–crabes-fantômes tarabiscotés, écrevisses claudiquant dans la boue,
gibier d’eau, poissons, crevettes, huîtres, cerfs replets et oies dodues –
se pressaient sur la terre et dans l’eau. Ceux qui ne rechignaient pas à
fouiller la boue pour se nourrir ne risquaient pas de mourir de faim.
Je ne sais pourquoi, j’ai
toujours eu une attirance irrésistible pour les histoires se déroulant dans les
territoires hostiles de l’Amérique. Ces grands espaces de possibles, envahis par le non-sens ou l’homme se construit
à la manière animale, loin des règles sociétale, sans foi ni loi, me fascinent
et m’horrifient aussi un peu. Là ou chantent
les écrevisses est un roman foisonnant à la nature indomptable et vibrante. Inhospitalière pour l’homme et donc hermétique au ravage capitaliste, mais
abondante d’humanité par sa biodiversité luxuriante. Un lieu presque magique ou
évolue Kya, petite fille abandonnée par sa mère et sa fratrie. D’abord en duel
face à un père violent qu’elle réussira à amadouer pour un temps, à force de persévérance
distance, mais qui disparaîtra à son tour. Elle évoluera ensuite seule, par
peur, par méconnaissance, par impuissance. De petite fille sauvage et débrouillarde, elle
deviendra cygne gracile et instruit grâce à trois mains tendues dessinant sa
survie, avec sincérité et pudeur.
Le début, mystérieux mais brutal,
presque féerique, saisit, mais au fur et
à mesure le désenchantement apparaît et la fin accompli la déconstruction. J’ai beaucoup apprécié cet amour sincère et puissant entre les deux
enfants, j’ai aimé le désir contenu et les choix de vies qui parfois détruisent.
J’ai été séduite par cette femme forte et autonome. J’ai été beaucoup moins sensible à cet idée
déterminante qui se dessine ensuite, que l’amour d’un homme est forcément l’accomplissement
d’une vie, une nécessité pour la survie et que si trahison il y a, seul le vide
demeure. J’ai trouvé que cela tournait au conte de fée avorté un peu convenu et
mièvre. Un petit gout à la Virginia C Andrews, autrice qui écrivait des
romances cabossées que je lisais dans mon enfance.
C’est une histoire agréable, sans
finalement de véritable surprise. Un début très prenant qui se délite au fur et
à mesure du roman. Il devient prévisible
et générateur de clichés et ne remplit pas ses promesses de grandeur. Un roman
dense dans la lignée Américaine de ceux de Joyce Carol Oates, mais qui n’en a
pas ni les subtilités ni la solidité.
L’intérêt majeur de ce récit réside
selon moi, dans ce respect de la nature déployé et partagé aux lecteurs. La
dénonciation des dangers du monnayage de l’environnement (qui gronde
actuellement dans le monde) pour en fabriquer du tourisme et autre denrées
capitalistes pour les plus privilégiés
Alors que la tornade Trump
détruit actuellement tout sur son passage, il semble toujours opportun de rappeler
les fondamentaux. La terre peut être exploité jusqu’à plus soif, mais un jour,
c’est nous qui aurons soif, et à ce moment-là, les richesses matérielles ne
sauveront plus l’humain.
Seuil, le 2 janvier 2020
480 pages
Traduit par Marc Amfreville
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