Bénie soit Sixtine de Maylis Adhémar

Sibylle se lève, tend des feuilles dactylographiées aux onze autres. C’est un argumentaire, explique-t-elle, pour défendre la chasteté et la pureté dans le monde apostat. Sibylle se penche sur le texte et énumère :

— Un, la pureté est la condition du Salut.

« Deux, la chasteté et la modestie permettent de cultiver une vie intérieure profonde.

« Trois, les femmes légères qui oublient ces principes troublent les hommes volontairement et deviennent la cause du péché.

« Quatre, l’acte sexuel a été voulu par Dieu uniquement pour enfanter.

« Cinq, la société apostate nous fait croire que l’acte sexuel est une source de plaisir pour les femmes délurées qui le pratiquent : le plaisir sexuel féminin est une invention, imaginée pour faire sombrer les femmes dans le péché. Les femmes ne peuvent tirer de la sexualité un plaisir au sens charnel du terme.

« Six, la recherche du plaisir par l’homme pousse à tomber dans l’égoïsme.

« Sept, la femme et l’homme doivent respecter la chasteté aussi dans le mariage.

« Huit, la femme mariée doit entendre les besoins naturels de son mari.

« Neuf, la luxure apporte la tristesse et le désespoir.

« Dix, résister au vice est une victoire devant Dieu.

Avec cette lecture, tout un monde s’ouvre. Un monde à part, dont on ne maitrise pas les codes. Un monde que l’on touche seulement du doigt lorsqu’on n’en fait pas partie. Un semblant d’ ailleurs, quand peut être a quelques coins de rues vivent des familles, des communautés, comme celle de Sixtine, extrêmement pieuses voir rigoristes.  L’extrémisme religieux à plusieurs visages. Certains visibles, d’autres beaucoup moins. En apparence et en fonction de leur médiatisation, leur position sociétale, ils ne font peut être pas les mêmes dégâts, mais ils existent et empiètent sur les libertés et les choix qui diffèrent des leurs. L’église catholique  comme toute religion possède elle aussi ses inscriptions sectaires. La religion dans ces retranchements les plus extrêmes entame parfois le bonheur de ces membres en grignotant l’étendue de leurs mouvements. Surtout les femmes. Elle a d’ailleurs souvent en commun, d’atteindre en priorité les femmes. Les désidératas de celles-ci étant accessoire, tout comme elle-même est accessoire si elle ne féconde ni ne materne comme on lui enjoint de le faire. Chaque chose à sa place, chaque rôle défini, chaque vie solidement vissée, surveillée, contrôlée, malmenée. Aucun écart toléré. La seule solution étant la soumission ou la fuite. 

Bénie soit Sixtine est vif et acerbe. Il rapporte une vie d’injonction aux corps, à l’esprit, aux valeurs, à l’envie. C’est un état des lieux des milieux traditionnalistes à dérives sectaires minutieusement décortiqué. Les mots sont soigneusement choisis jusque dans les noms de chapitres. L’ensemble est captivant et particulièrement bien documenté (il semble que l’autrice évoque le milieu dans lequel elle a grandi). On suit avec grand intérêt l’émancipation et les contradictions qui opposent Sixtine aux choix qu’elle fait tout en peinant à s’autoriser à être elle-même au-delà de ce cadre. C’est cinglant interpellant et très engageant à lire !

Julliard, le 20 août 2020, 304 pages


Autour de cette lecture :                                                                                                                        Un roman : J’ai retrouvé cette question de la difficulté à conserver sa foi tout en étant soi dans La petite dernière de Fatima Daas que je conseille pour l’exercice de style et le propos tout aussi essentiel.

Un document jeunesse :  Cité Babel de Pascale Hédelin illustré par Gaëlle Huhaze permet de se familiariser avec les trois grandes religions monothéistes, au rythme des saisons,  des fêtes, rites et traditions. Une belle façon d’aborder les différences, la tolérance et la pratique religieuse loin des extrêmes, chou gras régulier des médias. La lutte contre l’obscurantisme commence il me semble dans la compréhension et l’approche d’autres monde que le sien. Peut se compléter par les religions expliquées à ma fille de Roger-Pol Droit qui permet à l’adulte de lire avant sur le sujet. Un petit essai simple, court et efficace.

Un film : Les éblouis de Sarah Suco, sortie en 2019 qui très subtilement décrit l’enfance de la réalisatrice dans une communauté religieuse a dérive sectaire.

Une série : Unorthodox d’Anna Winger qui ici évoque la vie et l’émancipation d’une jeune femme dans une communauté juive ultra-orthodoxe.

Dans La petite dernière comme Les éblouis ou Unorthodox, les femmes malgré la conservation de la foi tentent d’échapper au contrôle et à la soumission, signature quasi incontournable de l’extrémisme religieux. 








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